Quand les entreprises invitent leurs salariés à prendre soin… de leurs collègues
Ambassadeurs en entreprise : le circuit court de l'engagement
« Pourquoi les salariés qui en ont le plus besoin ne profitent-ils pas, ou ne connaissent-ils même pas, le panel de services bien-être, QVCT, prévention santé mis en place par les entreprises ? Tout simplement parce qu’un message doit être porté par le bon vecteur pour avoir un réel impact et susciter l’engagement. C’est là que les pair-aidants, référents ou ambassadeurs – ces collègues de confiance – jouent un rôle clé dans les organisations », analyse Massimo Genuardi, Responsable QVT, RPS et Santé Mentale chez CGI (Europe de l’Ouest et du Sud).
Prévention santé, diversité, parentalité, démarches RSE, enjeux environnementaux… Pour aider les salariés à prendre soin d’eux et à changer leurs habitudes de vie, les entreprises misent sur leurs ambassadeurs : des salariés qui s’investissent, de manière volontaire et sur leur temps de travail, auprès de leurs collègues. Une sorte de circuit court pour favoriser l’impact des programmes RSE.
Capteurs de terrain, Mental Health Champions : des relais pour la santé mentale
Depuis dix-huit mois, les couloirs d’AXA résonnent d’un élan de solidarité. Trois cent quarante collaborateurs, armés d’une trousse de secours bien particulière, se sont formés aux gestes qui sauvent… des vies psychiques. Cette action s’inscrit dans une stratégie plus large, avec pour objectif de former 95 % des collaborateurs aux bases du bien-être d’ici 2025 via L’Odyssée de la santé mentale.
« La Santé Mentale est une priorité avec des initiatives comme la création chez AXA France il y a 18 mois d’un réseau interne de secouristes en santé mentale qui compte 340 secouristes certifiés PSSM. En 2025, l’accent sera mis sur la prévention des pathologies liées au stress, à l’anxiété, à la dépression et au burn-out, complété par des initiatives comme la médiation et la lutte contre les incivilités », explique Amélie Watelet, Directrice des Ressources Humaines.
Chez Engie, une autre brigade de sauveteurs s’est constituée : les capteurs terrain. La formation dispensée a permis d’acquérir les compétences nécessaires pour détecter les signes de souffrance au travail à un stade précoce, comme l’explique Carline Maugy, DRH d’Engie : « les 2 jours de formation nous ont permis d’avoir les outils pour approcher les personnes en souffrance psychique, et intervenir de façon appropriée pour apporter son aide et orienter vers l’aide adaptée. »
CGI s’appuie sur un réseau de salariés appelé Mental Health Champions. Ce programme, qui rassemble 112 volontaires (pour la Business Unit de l’Europe de l’Ouest et du Sud) vise à détecter, écouter et accompagner les salariés en situation de fragilité. « Ces champions sont référencés sur notre portail interne. Tout le monde peut candidater, mais un processus de sélection rigoureux est nécessaire. Les candidats retenus suivent ensuite une formation certifiée, très expérientielle », explique Massimo Guenardi, responsable QVCT, RPS et Santé Mentale chez CGI (Europe de l’Ouest et du Sud).
En France, un salarié sur quatre sera confronté à un trouble psychique au cours de sa vie (source : Fondation Jean-Jaurès). Pourtant, seuls 6 % des salariés en détresse mentale estiment que leur entreprise réagit efficacement. Face à ce constat, des programmes se développent pour offrir aux collaborateurs des bases solides de soutien.
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Soutien en entreprise : l’expérience personnelle comme point de départ
Des espaces de soutien, nés de l’impulsion des collaborateurs eux-mêmes, voient également le jour au sein des organisations.
De retour de congé maternité, Savannah Strickland, chef de projet chez Saint-Gobain, réalise qu’il lui manque un espace où les parents peuvent échanger librement sur leurs défis quotidiens. Avec deux collègues, elle lance alors Le Village, un réseau de buddies dédié à la question du retour des congés maternité, paternité ou parental. Ce groupe organise régulièrement des rencontres ouvertes aux salariés du groupe – parents, futurs parents, jeunes ou plus expérimentés – qui ne se connaissent pas mais souhaitent partager sur ce sujet de la parentalité. Isabelle Bonhomme, Directrice du Développement RH souligne : « Elles font avancer la réflexion en organisant des conférences et en suscitant le débat. Et si les politiques RH étaient conçues et mises en œuvre par les salariés ? »
Lorsque les défis deviennent plus lourds, comme dans le cas du cancer, les entreprises cherchent à dépasser les solutions traditionnelles. Selon le dernier baromètre de « Cancer@Work » – 1er réseau d’entreprises dédié à la question du cancer au travail – 65% des actifs affirment que leur entreprise devrait davantage accompagner les salariés touchés par le cancer.
Chez Sanofi, un programme spécifique a été mis en place pour accompagner les collaborateurs touchés par la maladie. Hélène Bonnet, patiente experte et co-créatrice du programme Cancer & Travail : Agir ensemble, témoigne : « Les gens nous disent que notre écoute et nos interventions ont changé leur vie. Sans nous, ils auraient probablement été en arrêt de travail et n’auraient pas pu faire face. » Ce programme met en place un réseau de 150 pairs-aidants pour accompagner les employés malades et leurs proches, brisant l’isolement et offrant un soutien à la fois pratique et émotionnel.
Auchan a adopté une approche similaire avec une cellule animée par trois collaboratrices ayant surmonté un cancer, apportant un soutien précieux aux malades et à leurs aidants dans leurs démarches.
Vers l’émergence des réseaux “Care”
De nombreuses entreprises ont compris l’importance de cultiver cet esprit de communauté. Des réseaux « Care » s’organisent.
Chez HEINEKEN France, 8 collaborateurs volontaires s’investissent dans le réseau interne We Care, dédié à promouvoir la santé physique, la santé mentale et le bien-être de leurs collègues. Gestion des émotions et du stress, syndrome de l’imposteur, importance d’un bon sommeil… We Care organise notamment des conférences tout au long de l’année sur ces thématiques. Des appels à volontariat sont régulièrement lancés afin d’encourager d’autres collaborateurs à rejoindre et s’impliquer dans ce réseau.
Même logique à la SNCF où une Care Academy, créée par des salariés, intervient auprès d’autres salariés, à la demande des managers de services. Virginie Leblanc, cofondatrice de l’initiative, explique : « L’offre est centrée sur les techniques de récupération pour rester en forme au travail (physique et cerveau). » Ouverts à tous les salariés du groupe, les ateliers sont disponibles en présentiel, distanciel ou en format hybride, via des kits d’intervention. L’objectif ? Aider chacun à devenir son propre coach de bien-être en apprenant à repérer ses signaux d’alerte pour agir efficacement. Depuis 2020, plus de 10 000 collaborateurs ont été formés à la gestion du stress, à la relaxation et aux techniques de respiration.
Loin d’être isolés, les collectifs de salariés commencent à tisser leur toile pour partager leurs bonnes pratiques. L’association Les Collectifs fédère des groupements présents dans 250 entreprises pour inciter les dirigeants à s’appuyer sur leurs salariés conscients et engagés.